Interview de Bruno Puech & Antoine Mourgue : comment choisir entre l’approche unifiée « tout intégrée » et les Best of Breed dans les projets EPM ?
Il arrive fréquemment que les équipes métier et la DSI s’interrogent pour savoir s’il vaut mieux privilégier un seul logiciel tout intégré ou plusieurs logiciels spécialisés dans différents domaines. Cette question déjà bien répandue dans les choix liés aux projets ERP, l’est tout autant désormais pour le SI Finance tant les solutions EPM se sont enrichies ces dernières années. Les directions financières se demandent donc de plus en plus fréquemment si elles doivent privilégier une plateforme financière unifiée, ou plutôt des outils Best of Breed pour leurs projets EPM ?
C’est pour les aider à répondre à cette question que nous avons réuni deux experts Smarthys :
- Bruno Puech, Directeur conseil et AMOA chez Smarthys, qui a commencé sa carrière dans le contrôle de gestion et a ensuite évolué vers le conseil pour accompagner la transformation des SI Finance de nombreux groupes parmi lesquels HSBC, Acadomia, Natixis, France Boissons, Grand Frais, Carrefour…
- Et Antoine Mourgue, Responsable de la BU Consolidation chez Smarthys, qui a acquis une solide expérience métier et applicative à la fois en entreprises, cabinets comptable et d’audit, notamment chez Ernst & Young, et qui intervient aujourd’hui dans la mise en place de projets de consolidation et de reporting chez nos clients, en France et à l’international.
« L’intégration d’outils et l’accompagnement à la mise en place de nouveaux besoins (croissance organique, TFT, IFRS, reporting, prévisionnel…) auprès de nos clients nous permettent d’intervenir sur de nombreux cas de figure dans la transformation des métiers de la finance et de la consolidation. La question du tout intégré ou de l’outil spécialisé revient régulièrement dans les échanges, et il faut toujours partir du besoin métier pour être certain de faire le bon choix… »
Antoine Mourgue, Responsable de la BU Consolidation chez Smarthys
Quelles sont les raisons qui amènent les directions financières à se poser cette question du tout intégré ou du Best of Breed ?
Antoine Mourgue : nous constatons bien souvent, des écarts entre les différents reportings. Ces écarts sont liés à l’utilisation de processus distincts entre les différents services de la direction financière. La vision unifiée recherchée, entraine un besoin de convergence qui suppose une réflexion autour des processus, de l’organisation comme des outils utilisés.
Les enjeux vont porter sur :
- Le calcul des indicateurs. Par exemple sur le CA ou l’EBITDA, l’équipe en charge de la consolidation devra appliquer des retraitements légaux (ex : IFRS15), là où le contrôle de gestion n’aura pas cette contrainte. À l’inverse, le contrôle de gestion souhaitera gérer des réallocations de produits et / ou de coûts pour refléter une vision opérationnelle de son activité.
- Le périmètre à couvrir. Par exemple, un besoin statutaire induit une vision complète P&L et Bilan, là où une vision managériale va en priorité se focaliser sur l’opérationnel (EBITDA et CAPEX essentiellement).
- La granularité de la donnée entre les deux processus sera également un élément structurant dans le choix.
De la même manière, la temporalité entre le contrôle de gestion qui nécessite une production mensuelle et la consolidation dont le besoin peut être trimestriel, semestriel voire annuel sera structurante. On voit bien que le périmètre, la fréquence, la granularité ou encore la complexité des retraitements/allocations des deux processus de reporting seront des éléments déterminant dans le choix du niveau de convergence.
Bruno Puech : c’est effectivement un bon exemple, car au-delà des outils, chacune des deux équipes a sa propre vision et fonctionne aussi avec ses propres contraintes. La vision légale prime pour la consolidation statutaire tandis que le contrôle de gestion va faire de nombreux retraitements par rapport à l’activité terrain pour affiner ses prévisions, et chacun ne communique pas toujours ses ajustements de données. Il en résulte un fonctionnement en vase clos qui amène des réflexions sur la convergence afin de fluidifier la communication entre les services pour qu’ils travaillent de manière plus intégrée et parlent « la même langue », en partageant les mêmes données financières qu’ils soient dans une vision business ou dans une vision légale.
Antoine Mourgue : on en revient donc rapidement aux véritables enjeux métier car les dirigeants et responsables d’activités veulent disposer de données communes et expliquées, tout en permettant l’application de traitements propres à chacun des processus métier. Cela passe par la possibilité pour chaque processus de gérer ses contraintes propres, tout en garantissant une cohérence des données.
Concrètement, en quoi consiste l’approche unifiée par rapport au Best of Breed ?
Bruno Puech : les solutions spécialisées dites Best of Breed sont souvent une bonne option pour une première étape d’équipement logiciel, cela permet de bien traiter les sujets, étape par étape, en adressant sur un outil dédié le processus à couvrir, mais cela complexifie au fur et à mesure de la mise en place des différents processus, les échanges de données et la réconciliation finale des chiffres entre la consolidation et le reporting ce qui rallongera inévitablement les délais de clôture… Il est nécessaire d’aligner les référentiels des différents processus via la mise en place de tables de correspondance, comme de mettre en place des « bridges » permettant de passer d’une vue de l’information financière à une autre en tenant compte des traitements utilisés. Il conviendra aussi de veiller à leur actualisation constante. Il ne s’agit donc pas seulement d’une question d’outils, mais aussi de gouvernance et de processus.
A l’opposé, une plateforme financière qui réunit à la fois la dimension FP&A et consolidation permet d’avoir une vision globale et de mieux gérer tous les processus liés, mais dans ce cas, un projet unifié intègre des contraintes en termes de données et de processus que l’on n’a pas dans un projet Best of Breed. Par exemple le point d’entrée commun, acte fondateur d’une vision unifiée, engendre une exigence en termes d’alimentation de la donnée, comme de son enrichissement. De même l’unification des processus suppose une bonne communication des différents acteurs tout au long du processus de production de la donnée. L’approche unifiée est une tendance de fond dans l’évolution des outils EPM. L’ensemble des éditeurs qui étaient historiquement positionnés sur une dimension Best of Breed intègrent désormais des briques supplémentaires qui les font tendre davantage vers des plateformes financières plus globales de consolidation, reporting et pilotage du prévisionnel. La solution OneStream a été précurseur dans le domaine, en proposant d’intégrer toutes les données dans un référentiel datalake extensible afin d’aider les directions financières à unifier leurs données et à faire converger leurs processus. Les experts Smarthys avaient d’ailleurs rédigé une SmartReview sur le sujet :
Le choix entre les deux approches semble donc étroitement lié aux besoins métier ?
Antoine Mourgue : oui, et plus précisément à la place que va prendre la vision contributive dans le pilotage. En effet, si le besoin de la vision contributive ne concerne que la consolidation et l’élimination des flux intragroupe, et ne se fait qu’une fois par an par exemple, un outil dédié de consolidation pourra très bien convenir. Alors que si le besoin est d’avoir la vision contributive de la consolidation au niveau de l’analyse et du reporting, à une fréquence trimestrielle ou de surcroît mensuelle, alors on peut raisonnablement envisager d’évoluer vers une plateforme financière unifiée.
L’activité de l’entreprise et son besoin d’avoir la vision contributive au niveau des activités (BU) et pas seulement des entités juridiques du groupe sera aussi un élément contributoire. Une problématique que l’on retrouve dans le secteur des services par exemple, avec beaucoup de refacturations de personnel, qui vont nécessiter une élimination des flux intra-groupe pour mettre en avant la performance de chaque BU permettant ainsi de visualiser et d’analyser la contribution des différentes BU au résultat.
Bruno Puech : c’est un cas de figure que l’on retrouve aussi dans la grande distribution avec les centrales d’achat qui revendent aux points de vente. La vision sociale sans élimination des flux intragroupe avant contribution peut convenir, mais leur élimination permettrait malgré tout de mieux affiner la reconnaissance du revenu en identifiant les interactions entre tous les acteurs : les entrepôts et leur marge, les magasins et leur marge, etc.
La vision contributive est essentielle au pilotage du business dans de nombreux secteurs d’activité, mais dans certains cas elle peut devenir critique et nécessite que le reporting prenne en compte toutes les subtilités de la consolidation. La question de savoir s’il vaut mieux 2 outils, ou 1 seul outil comprenant un moteur de conso intégré repose donc sur la vision de l’organisation cible que la direction financière souhaite bâtir… L’approche Best of Breed est déjà une belle première étape lorsque le groupe ne bénéficie pas de système efficace, et l’unification qui reste la cible peut être visée en gardant une approche pragmatique et en définissant le niveau de réconciliation le plus adapté.
Au regard de vos expériences, quelles sont les conditions préalables pour ceux qui envisagent d’évoluer vers une plateforme EPM unifiée ?
Bruno Puech : la prise de recul sur la maturité de l’organisation en place permet d’évaluer rapidement le degré d’unification qu’il semble réaliste de viser. Car si l’approche unifiée semble « le Graal », il faut que le groupe ait une vraie maturité dans ses équipes, ses processus financiers et ses outils pour y parvenir car l’unification visée ne peut l’être au détriment de l’efficience des différentes parties de la fonction Finance. L’appel à une AMOA externe peut clairement aider à avoir cette vision en s’appuyant sur des retours d’expérience éprouvés.
Antoine Mourgue : il ne faut effectivement pas sous-estimer l’ampleur du projet, c’est un choix structurant qui nécessite de bien anticiper les impacts humains et technologiques. Pour se préparer au mieux, on peut commencer par identifier tout le référentiel et les traitements propres à chacun des différents processus dans la consolidation avec les filiales, dans les traitements propres aux différentes activités, etc. Cela permet de recenser tous les écarts potentiels entre les différents processus et leurs impacts dans la restitution et l’analyse de la donnée.
L’évolution vers une plateforme EPM unifiée semble donc être un projet d’envergure, quels sont les conseils à partager à ceux qui se lancent ?
Antoine Mourgue : le projet peut effectivement prendre l’ampleur d’un « Big Bang » selon la maturité actuelle de l’organisation. Il faut donc commencer par bien définir les jalons et les impacts, et être prêt également à revoir ses processus et à se projeter dans un nouvel outil. Dans certains groupes, ces interactions et l’appréciation des impacts sur le triptyque Organisation – Processus – Outils peut prendre du temps.
Bruno Puech : le rôle de conseil de l’AMOA prend tout son sens dans ce contexte. Cela aide les directions financières à faire les bons compromis et savoir où s’arrêter sur la convergence. Par exemple, définir le seuil de croisement analytique recherché au Réel (EBITDA, Résultat Net voire Bilan) mais aussi quelle vision arrêter pour le prévisionnel (P&L ou P&L et Bilan) . Il faut donc savoir poser des limites. Nos expériences nous montrent aussi que cela demande un pilotage et une organisation dédiés, avec une équipe projet pour le Build et une autre pour le Run.
L’approche unifiée est une démarche EPM vertueuse qui permet d’être beaucoup plus large dans son approche analytique de l’activité et qui apporte de nombreux bénéfices. Mais cela relève d’un choix stratégique de transformation pour la direction financière qui doit faire les bons choix et ne pas viser des objectifs trop complexes. Gagner en fiabilité dans les chiffres du reporting et de la consolidation ne doit en effet pas faire perdre en souplesse, et c’est tout l’intérêt d’une solution unifiée qui permet de gérer de manière ajustable l’unification des processus métiers.